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Dossier / Le juge, la soft law et le régulateur : état des lieux et prospective

  • vincentdelval0
  • 1 déc. 2016
  • 7 min de lecture

L’année 2016 a été marquée par un bouleversement d’ampleur du contentieux administratif depuis la recevabilité pour excès de pouvoir de certains actes de « droit souple » adoptés par les autorités dites « de régulation ». Après plusieurs décisions rendues ces derniers mois, cet article vise à la fois à tirer un premier bilan de ces jurisprudences et à réfléchir de manière prospective aux suites que le juge et le régulateur voudront bien donner à ce phénomène.



Une version longue et détaillée de cet article est publiée dans la revue Procédures (LexisNexis), Etude n°22, mai 2017.



Il est traditionnellement admis qu’à défaut de modifier l’ordonnancement juridique, les actes de droit souple qui ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires sans pour autant créer de droits ou d’obligations (1) sont insusceptibles d’un recours pour excès de pouvoir, nonobstant la circonstance qu’ils puissent faire grief. Certes, le Conseil d’Etat avait admis que des « prises de position » et « recommandations » pouvaient faire l'objet de recours si ces actes « revêtaient le caractère de dispositions générales et impératives ou de prescriptions individuelles dont [le régulateur] pourrait ultérieurement censurer la méconnaissance »(2). Mais à cette occasion, le juge ne faisait qu’assimiler les actes en question à des actes décisoires, transformant le droit « souple » en droit « dur ». Depuis les deux décisions désormais célèbres du 21 mars 2016 (3), le Conseil d’Etat s’est affranchi de cet artifice pour juger désormais recevables pour excès de pouvoir des « les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l'exercice des missions dont elles sont investies (...) lorsqu'ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent ». Dans ce cas, « il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité de régulation ».


Par ce considérant de principe désormais bien établi (4), la Haute juridiction administrative admet donc qu’un recours pour excès de pouvoir peut être introduit contre certains actes de droit souple et examiné selon un certain type de contrôle.


La nature des actes de droit souple contestés


La catégorie d’actes définie par le Conseil d’Etat dans ses différents arrêts répond systématiquement à deux caractéristiques qui conditionnent la recevabilité du recours : un critère organique d’abord qui tient à la qualité de l’auteur de l’acte, un second ensuite qui touche à l’objet et aux effets de l’acte.


- L’acte de droit souple doit en premier lieu être adopté par une « autorité de régulation ». On peut être surpris de l’utilisation de cette formule dans la mesure où en France, « il n’existe nulle part une notion juridique d’autorité de régulation »(5). La doctrine fait ainsi le plus souvent référence aux autorités de régulation sans se soucier de définir les organismes qui effectivement rentrent dans cette catégorie. D’un point de vue organique, si on cherche à construire une figure de l’autorité de régulation économique à partir du droit européen, il est possible de déterminer quelles autorités peuvent rentrer dans cette catégorie (9) : les autorités chargées de la supervision des secteurs financiers (AMF, ACPR), de la supervision des secteurs des industries de réseaux (ARCEP, CRE, ARAFER), et pour ce qui concerne leurs activités économiques, les autorités chargées de la surveillance des jeux en lignes (ARJEL) et de l’audiovisuel (CSA).


Si plusieurs indices laissent penser que seules les autorités de régulation économiques sont concernées par l’actuelle jurisprudence du Conseil, est-ce pour autant dire que seules les véritables autorités chargées d’une mission de régulation économique sont visées par le Conseil d’Etat ? On peut en douter. Les rapporteurs publics des deux arrêts du 21 mars 2016 soutiennent d'ailleurs qu’un critère fonctionnel, et non organique, a été retenu. Sans préciser que les autorités doivent être investies d’une mission de régulation économique, ils estiment donc que « ce nouveau contrôle juridictionnel pourrait peut-être s'appliquer à des commissions administratives chargées de missions de régulation, voire à des services administratifs, pour l'exercice de ces missions »(10).


- En second lieu, les « avis, recommandations, mises en garde et prises de position » doivent être « de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou [avoir] pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent ». Avec cette formule, le Conseil d’Etat refuse d’ouvrir son prétoire à l’ensemble des actes de droit souple pris par les autorités de régulation. Certes, en ne mentionnant que les « les avis, recommandations, mises en garde et prises de position », on aurait pu être tenté de croire que le juge circonscrivait son contrôle aux seuls actes ayant cette terminologie. Mais compte tenu du faible formalisme du juge administratif, cette liste n’est pas limitative dans la mesure où des recours contre d’autres actes de droit souple comme la décision (11), la délibération (12) et le communiqué (13) ont déjà été jugés recevables (14).


La nature du contrôle exercé par le Conseil d’Etat


C'est la question de l’intensité du contrôle que le juge effectue sur ces nouveaux actes. En voulant distinguer le rôle du juge de celui de l’autorité de régulation, le Conseil d’Etat ne préjuge pas de l’intensité du contrôle, normal ou restreint, qu’il exercera sur les actes qui lui seront déférés. Il indique juste qu’il lui appartient « d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de régulation ». Cette formule est originale et montre combien le juge est réticent à utiliser la « grille de lecture » du REP contre les actes de « droit dur » aux actes de « droit souple »(25).


Si deux des différents cas étudiés (les décisions société SC Numéricable et GDF Suez) ne posent de ce point de vue que peu de difficultés, en revanche, des incertitudes demeurent concernant les décisions Fairvesta et Mme Z et a. En effet, le contrôle exercé par le juge dans l’arrêt Fairvesta est un contrôle restreint, alors que dans l’affaire Mme Z. et a., le Conseil d'Etat exerce un contrôle normal, validant l’appréciation faite par le CSA du message litigieux en procédant lui même à son interprétation. Sans doute la décision du CSA se prêtait davantage à une appréciation par le juge que celle de l’AMF, qui requiert une technicité et des connaissances que seule possède l’autorité de régulation.



En déclarant le recours pour excès de pouvoir recevable à l’encontre des actes de régulation tels que les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice de leurs missions « lorsqu'ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent », le Conseil d’Etat a voulu combler « l’"angle mort" du contrôle juridictionnel »(36) qui résultait en matière de régulation des anciennes jurisprudences de 2012. Tous les doutes ne sont toutefois pas levés. Des interrogations demeurent, et parmi elles, celle de l’intensité variable du contrôle exercé par le juge. Il est vrai que le CSA possède des compétences économiques, mais son rôle premier s’exerce en matière de protection des droits et libertés, domaine sans doute moins technique pour le juge que ne le sont ceux des marchés financiers ou des industries de réseaux. Doit-on alors y voir, dans la distance que le Conseil d’Etat a conservé à l’égard de certains actes de droit souple de l’AMF et de l’ACPR, le signe que pour l’exercice de certains pouvoirs de régulation économique, le juge se contentera d’un contrôle souple et limité ? Cette possibilité n’est pas écartée et nous ne pouvons que nous en réjouir. En effet, si la Haute juridiction est amenée à exercer le même contrôle sur les actes de régulation que sur les actes de réglementation, alors les autorités de régulation seront de plus en plus amenées à associer les parties prenantes à la production de leur droit souple (37). Certes, cette démarche est vertueuse (38), « le droit souple doit être élaboré dans la transparence, en associant les parties prenantes [et] pour pouvoir être effectif, il doit susciter leur adhésion »(39), mais en faisant participer activement les opérateurs régulés à l’élaboration de son droit souple, une autorité de régulation économique comme l’AMF ne fait pas que réduire le risque de voir ses actes contestés devant le juge. Elle lui en substitue un autre : le risque de capture du régulateur par l'opérateur régulé.





Notes:


(1) CE, Rapport public 2013, Le droit souple, La Documentation française, 2013, p. 61.


(2) CE, 11 oct. 2012, n° 357193, Sté Casino Guichard-Perrachon et CE, 11 oct. 2012, n° 346378, Sté ITM Entreprises et a.


(3) CE, 21 mars 2016, n° 368082, n° 368083 et n° 368084, Sté Fairvesta International GMBH et a., et CE, 21 mars 2016, n° 390023, Sté NC Numericable.


(4) Voir également : CE, 20 juin 2016, n° 384297, FFSA ; CE, 13 juillet 2016, n° 388150, Société GDF Suez ; CE, 22 juillet 2016, n° 397014, Alliance française des industries du numérique (AFNUM) ; CE, 10 novembre 2016, n° 384691, Mme Z. et a.


(5) G. MARCOU, « La notion juridique de régulation », AJDA, 2006, p. 351.


(6) Nous ferons référence ici à notre thèse : V. DELVAL, Recherche sur un modèle d’autorité de régulation dans l’Union européenne dans les secteurs économiques et financiers, Université Lille 2, 2016, pp. 16 et s.


(7) V. DAUMAS et S. VON COESTER, « Le Conseil d'Etat accepte de se saisir d'actes de "droit souple" », DA n° 4, Avril 2016, comm. 20.


(8) CE, 10 novembre 2016, Mme Z. et a., op.cit.


(9) CE, 13 juillet 2016, Sté GDF Suez, op. cit.


(10) CE, 21 mars 2016, Sté Fairvesta International GMBH et a., op. cit.


(11) N. MATHEY, « Vers une solidification du droit souple », RDBF n°3, mai 2016, comm. 108 ; N. CHIFFLOT, « Conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir », Procédures n° 5, Mai 2016, comm. 186.


(12) V. DAUMAS et S. VON COESTER, « Le Conseil d'Etat accepte de se saisir d'actes de "droit souple" », op. cit.


(13) P. IDOUX, « L'absence de justiciabilité des avis et recommandations de l'Autorité de la concurrence », RJEP

n° 708, mai 2013, comm. 13.


(14) J.-B. POUILLE, « La régulation par l'information en droit des marchés financiers », LPA n°15, 21/01/2009, p. 8.


(15) Elle participerait à ce que les anglo-saxons appellent la « thoughput legitimacy » (ou légitimité par la participation), qui permet à l’autorité de régulation de regagner une part de sa légitimité.


(16) J. RICHARD et L. CYTERMANN, « Le droit souple : quelle efficacité, quelle légitimité, quelle normativité ? », AJDA n° 33, 2013, p. 1884.


Le juge, le droit souple et le régulateur: état des lieux
 
 
 

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