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Taxe « télécoms » : l’AGCOM encore sanctionnée suite à une application stricte de la jurisprudence d

  • vincentdelval0
  • 12 mars 2017
  • 9 min de lecture

Les institutions de l’Union européenne ont toujours été très vigilantes sur l’application par les ARN des Etats membres de la directive « autorisation », laquelle permet notamment aux autorités de régulation du secteur des communications électroniques de prélever une taxe sur les opérateurs régulés en vue de leur financement. De nombreuses fois, la Commission n’a en effet pas hésité à rappeler à l’ordre les Etats membres qui s’éloignent des possibilités offertes à l’article 12 de la directive lorsqu’ils prévoient des taxes qui dépassent les frais administratifs de leurs ARN (1). Lorsqu’elle est amenée à se prononcer sur l’indépendance financière des autorités de régulation nationales, la Cour de justice de l’Union européenne déroule également le fil de sa jurisprudence avec la régularité d’un métronome, en se prononçant à plusieurs reprises sur l’étendue de l’indépendance financière dont peuvent jouir les ARN par rapport aux dispositions encadrant l’usage de la « taxe télécoms » (2). Ce sujet est important puisque la plupart des autorités de régulation nationales supervisant les secteurs des réseaux (communications, énergie et transports) dans l’Union européenne sont au moins partiellement financées par des taxes perçues sur les opérateurs régulés. Or contrairement à la grande latitude donnée aux régulateurs du secteur de l’énergie (3), les possibilités offertes par le droit de l’UE concernant plusieurs taxes imposées aux opérateurs régulés dans le secteur des communications électroniques sont strictement encadrées par la directive 2002/20/CE du 7 mars 2002. Celle-ci indique en effet que l’indépendance financière des ARN du secteur des communications électroniques n’est pas totale en précisant à son considérant n°30 et à son article 12 que les taxes administratives imposées aux opérateurs régulés afin de financer les activités de l'autorité de régulation nationale en matière de gestion du système d'autorisation et d'octroi de droits d'utilisation doivent uniquement couvrir les coûts administratifs réels résultant de ces activités.


En référence à ces dispositions, la CJUE a été amenée à se prononcer à plusieurs reprises sur l’étendue de l’indépendance financière de l’AGCOM, l’autorité de régulation des communications italienne. Une première fois en 2013 à l’occasion d’un recours préjudiciel formé par le Tribunal administratif régional du Latium à propos d’une taxe perçue par l’AGCOM sur les opérateurs des communications électroniques en vue du financement d’une autre ARN (4). En application de la loi de finance pour 2010 qui imposait pendant trois ans un système de transfert de financement de certaines autorités nationales vers d’autres autorités ou organismes comme l’Autorité de protection des données personnelles italiennes (Garante per la protezione dei dati personali), l’AGCOM avait recalculé le montant réclamé en prévision d’un transfert de fonds imposé et réclamé à plusieurs opérateurs une partie des contributions non perçues au titre de ces coûts opérationnels. Pour la CJUE, cette taxe est contraire au texte de la directive 2002/20/CE, dans la mesure où « les taxes imposées en vertu de l’article 12 de la directive "autorisation" ne sont pas destinées à couvrir les coûts administratifs de toute nature supportés par l’ARN » (5) mais uniquement « les coûts administratifs globaux occasionnés par la gestion, le contrôle et l’application du régime d’autorisation générale, des droits d’utilisation et des obligations spécifiques, (...) qui peuvent inclure les frais de coopération, d’harmonisation et de normalisation internationales, d’analyse de marché, de contrôle et d’autres contrôles du marché, ainsi que les frais afférents aux travaux de réglementation impliquant l’élaboration et l’application de législations dérivées et de décisions administratives, telles que des décisions sur l’accès et l’interconnexion » (6). Plus récemment, la Cour s’est également prononcée à propos d’un litige opposant l’AGCOM au gouvernement italien à propos d’une baisse du financement public de l’autorité prévue dans le cadre des efforts de rationalisation des politiques publiques menés par les pouvoirs publics nationaux. Dans un arrêt du 28 juillet 2016 (7), la CJUE précise ainsi que la réduction du financement public des ARN n’est pas contraire au droit de l’UE, rappelant toutefois que celle-ci ne peut pas être compensée par une hausse des taxes sur les opérateurs régulés au delà de ce qui est autorisé par l’article 12 de la directive « autorisation ».


C’est dans ce contexte que le Tribunal administratif du Latium dut se prononcer le 1er mars 2017 (8) sur la légalité de la délibération de l’AGCOM 605/14/CONS du 5 novembre 2015 prise en vertu de l’article 1 §65 de la loi n°266 du 23 Décembre 2005 (9). Cette délibération contestée par la société Telecom Italia Spa était intitulée « Mesure et mode de paiement de la redevance due à l'autorité de régulation des communications électroniques pour l’année 2016 » et avait pour objet de soumettre tous les opérateurs du secteur des communications électroniques à un taux de redevance de 0.14%. Alors que les anciennes délibérations de l’AGCOM prises entre 2011 et 2014 qui prévoyaient un transfert de taxes vers d’autres ARN avaient été jugées contraire au droit de l’UE par la CJUE et avaient déjà été annulées (10), cette délibération de 2015 n’imposait plus ce type de transfert et ne concernait donc que le financement des activités de l’AGCOM. En prenant le soin d’analyser précisément la nature de la taxe, le juge italien s’est toutefois attaché à vérifier à la fois quelles activités sont effectivement financées par cette contribution, si ces taxes sont proportionnelles au coût global lié à ces activités et si l’ARN a satisfait à ses obligations de transparence prévue dans la directive, afin que les opérateurs puissent vérifier que les coûts administratifs et les taxes s'équilibrent (11).


Selon l’AGCOM, les taxes perçues sur les opérateurs du secteur des communications électroniques ne visent qu’à financer la régulation de ce secteur, alors que l’autorité est également chargée de la régulation du secteur postal et du secteur de l’audiovisuel (cons. 23). Cette indication est importante car contrairement aux anciennes délibérations contestées, celle de 2015 a un champ d’application resserré autour du seul secteur des communications électroniques. L’AGCOM justifie par ailleurs l’étendue des missions autofinancées par l’application de l’article 5 de la loi n°115 du 29 juillet 2015 (12). Cet article qui modifie l’article 34 de la loi de 2005 indique en effet que doivent être compris dans les dépenses engagées au titre de l’article 12 de la directive les « coûts administratifs engagés dans l'exercice des mission de régulation, de supervision, de règlement des différends et de sanction de l'Autorité ». La société Telecom Italia Spa indiquait quant à elle que les redevances perçues au titre de cette délibération contrevenaient aux dispositions de l’article 12 de la directive « autorisation ».


En premier lieu, il ressort de l’analyse de la délibération 605/14/CONS que la détention de l’autorisation générale constitue le seul fait générateur de la taxe contestée, ce qui implique que celle-ci est perçue au titre de l’article 12 de la directive « autorisation ». Pourtant, la délibération de l’AGCOM fait référence au financement d’« activités directement et indirectement liées au secteur des communications électroniques ». La taxe pourrait donc inclure, en plus du financement des activités prévues dans la directive 2002/20/CE, celui d’autres missions telles que celles du service d’enquête et du service de protection des consommateurs de l’autorité, ou le financement des CoreCom (13). Le juge italien en tire alors deux conséquences. D’abord, l’AGCOM finance à l’aide de la taxe perçue sur les opérateurs des activités qui s’éloignent de celles prévues à l’article 12 de la directive. Ensuite, l’AGCOM n’a pas précisément indiqué quelles dépenses sont financées par la taxe, ce qui contrevient également à l’obligation de transparence prévue par la directive 2002/20/CE. Ces deux éléments conduisent le Tribunal à juger que « les taxes perçues par l'Autorité des communications électroniques vont bien au-delà des limites de l'article 12 de la directive "autorisation" ».


En second lieu, le tribunal administratif du Latium confronte le contenu de la loi n°115 du 29 juillet 2015 qui étend le champ des missions sur lesquelles pouvaient porter les contributions perçues par l’AGCOM à l’article 12 de la directive 2002/20/CE. Pour le juge italien, les dispositions de la loi du 29 juillet 2015 qui élargissent le champ des activités finançables au titre de l’article 12 sont en réalité contraires à la directive « autorisation ». Dans cette situation, « les autorités nationales sont tenues d'interpréter et d'appliquer la législation nationale en conformité avec le droit européen et, si une telle interprétation n’est pas possible, de ne pas appliquer les règles nationales qui sont en conflit avec le droit européen ». Ce rappel implique donc que la législation italienne qui étendait l’assiette des contributions perçues sur les opérateurs doit être écartée au profit de la lettre de l’article 12 de la directive. En conséquence, la résolution n° 605/15 / CONS de l’AGCOM est annulée.


Si elle constitue au premier abord une décision d’espèce appliquée à l’AGCOM, cette décision du Tribunal administratif du Latium illustre cependant combien l’application stricte de l’article 12 de la directive 2002/20/CE et la jurisprudence de la CJUE peuvent s’avérer contraignantes pour les autorités chargées de la régulation du secteur des communications électroniques. Alors que dans le secteur de l’énergie ou dans les secteurs financiers les autorités de régulation sont très majoritairement voire totalement financées par des taxes sur les opérateurs régulés (14), ce type de taxe est très encadré pour les ARN du secteur des communications électroniques. Sans doute est-ce la raison pour laquelle dans l’Union européenne, la majorité des autorités de régulation nationales chargées de ce secteur ne sont que partiellement autofinancées, et reçoivent toujours des dotations issues du budget de l’Etat. Certes, toutes les taxes perçues auprès des opérateurs du secteur des communications électroniques ne le sont pas toutes au titre de l’article 12 de la directive « autorisation » - on pense notamment aux taxes sur la consommation (15) ou aux taxes prélevées sur certains opérateurs qui fournissent des services de communications électroniques aux usagers finals (16). Mais dès lors que le fait générateur de la taxe est lié à la procédure d’autorisation générale permettant d’accéder au marché des services de communications électroniques, le montant de ces taxes ne doit pas excéder l’ensemble des coûts occasionnés par la gestion, le contrôle et l'application du régime d'autorisation générale, lesquelles doivent être indiquées de manière claire et transparente.


Il faut toutefois replacer cette décision dans un contexte propre à l’Italie. Alors qu’en France l’ARCEP est exclusivement financée par des dotations issues du budget de l’Etat, l’AGCOM se finance à hauteur de 85% par des taxes perçues sur les opérateurs régulés. Or comme le concluait déjà l’avocat général Manuel Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire C‑240/15, toutes les dépenses de l’AGCOM au cours des derniers exercices ont été financées de manière totalement autonome à l’aide des taxes administratives qu’elle avait perçu auprès des opérateurs du marché des communications électroniques (17). En conséquence et malgré la réduction de la part de financement par les dotations de l’Etat, le budget de l’AGCOM est, à l’image de celui de l’autorité de régulation italienne de l’énergie (18), largement excédentaire. Il existe alors un doute sur la légalité des taxes perçues sur les opérateurs dans la mesure où celles-ci semblent dépasser largement le coût des activités prévues à l’article 12 de la directive. Ceci explique sans doute pourquoi le juge italien se montre désormais particulièrement attentif aux modalités de l’autofinancement du régulateur.



Notes:


(1) Voir notamment : Commission européenne, Communiqué de presse, Avertissement à la Lettonie à propos des taxes administratives dans le secteur des télécommunications, IP/09/1009, 25/06/2009 ; Commission européenne, Communiqué de presse, Stratégie numérique: la Commission traduit la France et l'Espagne devant la cour de Justice dans le cadre de la procédure sur les « taxes télécoms », IP/11/309, 14/03/2011 ; Commission européenne, Communiqué de presse, Stratégie numérique: la Commission ouvre une procédure d'infraction à l'encontre de la Hongrie à propos de la taxe télécom », IP/11/308, 14/03/2011.


(2) Voir notamment : CJCE, 18 septembre 2003, Albacom SpA et Infostrada SpA, Aff. C-292/01 et C-293/01, ECLI:EU:C:2003:480 ; CJUE, 21 juillet 2011, Telefónica de España SA, Aff. C‑284/10. ECLI:EU:C:2011:513 ; CJUE, 27 juin 2013, Vodafone Malta et Mobisle Communications, Aff. C-71/12, EU:C:2013:431 ; CJUE, 27 juin 2013, Commission européenne contre France, Aff. C‑485/11, ECLI:EU:C:2013:427


(3) Voir notamment : Commission européenne, Interpretative note on directive 2009/72/EC concerning common rules for the internal market in electricity and directive 2009/73/EC concerning common rules for the internal market in natural gas, 22 janvier 2010, p. 9.


(4) , 18 juillet 2013, Vodafone Omnitel NV et autres, Aff. C-228/12 à C-232/12 et C-254/12 à C-258/12. ECLI:EU:C:2013:495.


(5) Cons. 40.


(6) Cons. 38.


(7) CJUE, 28 juillet 2016, AGCOM contre Institut national des statistiques, Aff. C‑240/15. ECLI:EU:C:2016:608.


(8) Tribunal administratif du Latium, 1er mars 2017, Soc Telecom Italia Spa, sentence n° 03020.


(9) Cet article dispose que « les dépenses de fonctionnement de l’AGCOM (...) qui ne sont pas couvertes par le financement du budget de l'Etat font l’objet d’une contribution financière, déterminée par une résolution prise par l’autorité qui en détermine le montant en conformité avec les limites maximales fixées par la loi, versée directement à la même autorité ».


(10) Tribunal administratif régional du Latium, 5 mars 2014, sentences n°2534, n°2538 et n°2542.


(11) Cons. 30 de la directive 2002/20/CE.


(12) Loi n°115 du 29 juillet 2015 Disposizioni per l'adempimento degli obblighi derivanti dall'appartenenza dell'Italia all'Unione europea, GU n° 178, 3 août 2015.

(13) Les Comitati regionali per le comunicazioni (CoreCom) sont des comités régionaux consultatifs chargés d’épauler l’AGCOm dans ses prises de décision.


(14) Voir sur ce point : V. DELVAL, Recherche sur un modèle d’autorité de régulation dans l’Union européenne, dans les secteurs économiques et financiers, Thèse, Université Lille 2, 2016, pp. 534 et s.


(15) CJUE, 27 juin 2013, Vodafone Malta et Mobisle Communications, Aff. C-71/12, EU:C:2013:431.


(16) CJUE, 27 juin 2013, Commission européenne contre France, Aff. C‑485/11, ECLI:EU:C:2013:427.


(17) CJUE, Aff. C‑240/15, Conclusions de l’avocat général Manuel Campos Sánchez-Bordona, 28 avril 2016, point 51.


(18) Par exemple, le financement de l’AEEG par des taxes et prélèvements s’est conclu en 2014 par un excédent de 17 millions d’euros dans les caisses de l’autorité italienne (Rapport annuel 2014, p. 237).







 
 
 

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